CANCER CONTROL FRANCOPHONE 2021 35
FACTEURS DE RISQUE
plus d'épisodes de réactivation avec des taux d'IgG anti VCA,
anti-EA-D et anti-Zebra plus élevés comparés aux enfants
non infectés par Plasmodium falciparum (40,50). De plus, une
infection aigüe à Plasmodium falciparum est associée à des
charges virales EBV élevées (Nije 2009, Donati 2006 de Roch
2015). L'augmentation du pool de cellules B infectées par EBV,
en conséquence de la réactivation virale, est associée à une
diminution de la réponse immunitaire T cytotoxique anti-EBV,
également induite par le parasite (51,52). Parallèlement à son
rôle de cofacteur du virus EBV, Plasmodium falciparum pourrait
avoir un effet direct sur la formation de la translocation MYCIGH
en induisant une expression aberrante d'AID via une
signalisation dépendante du TLR9 (53-55). Ainsi, Plasmodium
falciparum réactive le virus EBV, favorisant la proximité
entre MYC-IGH tout en induisant une surexpression d'AID
qui introduit des cassures doubles brins d'ADN sur IGH.
La proximité de MYC avec IGH augmente le risque d'être
simultanément ciblé par AID et donc le risque de translocation
(figure 1B).
Rôle de la plante Euphorbia tirucalli
Euphorbia tirucalli est une plante très répandue en Afrique,
avec une répartition géographique superposable à la
ceinture du lymphome. Elle y est utilisée à visée ornementale,
médicinale ou parfois les enfants peuvent jouer avec son latex
(56). Elle a été plus fréquemment retrouvée dans les maisons
des enfants atteints de LBe que dans celles des enfants sains
(57-59). Le latex d' Euphorbia tirucalli contient une substance,
le 4-deoxyphorbol ester (58,60), très proche du promoteur de
tumeur TPA, un phorbol ester isolé de l'huile de croton, ellemême extraite
à partir d'une autre plante de la famille des
Euphorbiaceae (61). Ces substances potentialisent le pouvoir
transformant d'EBV (62) et induisent la réactivation d'EBV dans
les cellules B infectées (59,61,63). Elles sont également capables
de moduler l'immunité cellulaire T spécifique anti-EBV (62,64)
et même d'induire des réarrangements chromosomiques in
vitro et in vivo (64-66). Ces réarrangements chromosomiques
impliquent assez souvent le chromosome 8 avec activation
de l'oncogène MYC (63,66). Euphorbia tirucalli apparait ainsi
comme un cofacteur du virus EBV dans la pathogenèse du LBe
essentiellement en induisant la réactivation du virus.
Un rôle de l'aflatoxine B1 (AFB1) ?
AFB1 est produit par des champignons du genre Aspergillus qui
sont très répandus en Afrique subsaharienne (67). Il contamine
une grande variété de produits agricoles mal conservés tels
que le blé, l'arachide, le maïs, le riz… qui sont souvent la base
du régime alimentaire dans ces zones géographiques. De
plus, une exposition très précoce à l'AFB1, dès la période in
utéro est rapportée (68-71). AFB1 est surtout connu pour son association avec le cancer primitif du foie (72). Son rôle
dans l'apparition d'autres cancers (poumon, tube digestif, sein,
vésicule biliaire, peau…) a également fait l'objet de diverses
études (73), mais il n'existe pas encore de preuves formelles
de son implication dans les hémopathies malignes en général
et dans le LB en particulier. Des données expérimentales
intéressantes encouragent cependant à approfondir la
thèse d'un rôle de l'AFB1 dans le LB, en collaboration avec le
virus EBV. Une étude a démontré in vitro et sur des modèles
animaux l'aptitude de l'AFB1 à réactiver le cycle lytique d'EBV
et la coopération entre AFB1 et EBV dans la transformation
des lymphocytes B (74). Des motifs spécifiques de méthylation
de l'ADN identifiés dans des lignées cellulaires de LB EBVpositives
ont également été retrouvés dans l'ADN extrait du
sang de nourrissons gambiens avec une forte exposition in
utero à l'AFB1 (70). Ces données supportent la possibilité de
l'implication de l'AFB1 dans le développement du LBe en tant
que cofacteur du virus EBV, au même titre que Plasmodium
falciparum et Euphorbia tirucalli. L'AFB1 peut fortement
induire une recombinaison mitotique dans des lignées
cellulaire lymphomateuses murines (75) et lymphoblastoïdes
humaines (76). Ces recombinaisons mitotiques pourraient
favoriser la formation de translocations chromosomiques.
L'AFB1 peut exercer des effets génotoxiques, mutagéniques
et immunosuppressives (73,75,77,78), essentiellement par
l'intermédiaire des adduits qu'elle forme avec l'ADN (78). Ainsi,
un effet direct de l'AFB1 sur les cellules B, indépendamment du
virus EBV n'est pas à écarter.
Conclusion
Le LBe est une pathologie multifactorielle dont les mécanismes
de développement sont complexes et étroitement liés à
des facteurs infectieux et environnementaux propres à
l'Afrique subsaharienne. Certains facteurs émergents comme
l'AFB1, nécessitent des études plus poussées en particulier
épidémiologiques pour mieux asseoir le lien avec le LBe. Des
projets de recherche fondamentale sont également requis
pour mieux caractériser les mécanismes d'oncogenèses induits
par ces facteurs sur les lymphocytes B des enfants africains.
Une meilleure connaissance de ces mécanismes participerait
à l'élaboration de stratégies préventives et thérapeutiques.
Dans ce sens, la récente mise en place à Dakar d'un centre de
référence pour le diagnostic des cancers de l'enfant pourrait
beaucoup faciliter la réalisation de ces projets de recherche.
En effet, il s'agit d'un projet soutenu par le programme « My
Child Matters » de la Fondation Sanofi Espoir et l'Alliance
Mondiale Contre le Cancer, en collaboration avec l'Université
Cheikh Anta Diop et les hôpitaux universitaires Aristide Le
Dantec et Dalal Jamm à Dakar, avec un volet important axé sur
la formation et la recherche. n